Ces instants-là de Herbjørg Wassmo

Comment critiquer ce qui est hors norme? Comment chroniquer alors que ce récit s’échappe comme du vif-argent dès lors qu’on tente une approche. Même la lecture devient performance tant il est difficile d’appréhender cette œuvre où règne en maître le flux de conscience et le froid absolu de la dépersonnalisation, de la réification des êtres semblant vivre absurdement. Beckett se serait sans doute frotté les mains en lisant ce roman mystère aussi agaçant que fascinant. Aucun des personnages ne portent de noms; ils ne sont que des fonctions: la femme, le fils, la mère, le mari… couv29516369

Nous suivons une femme dans sa vie, de sa toute jeune adolescence à un âge beaucoup plus avancée dans une quête de liberté qui nous donne envie de la gifler parfois tant son manque de volonté et son envie de s’apitoyer sur elle-même est… crispant, exaspérant, fatiguant. Pourtant, je me suis accrochée à cette femme sans visage qui mène une vie ordinaire où elle lutte pour rester digne malgré les humiliations infligés par son mari et les hommes en général. D’ailleurs, cette conception du féminin contre le masculin m’a rebutée, tout simplement parce que je ne suis pas du tout une adepte de cette théorie particulière d’une branche du féminisme. Le récit où se mêle monologue intérieur et dérive de la pensée en un flux de conscience assez ardu à suivre est un exercice de virtuosité qui paradoxalement nous met face à nous même. Qu’aurions-nous fait dans sa situation? Aurions-nous été plus courageux? Wassmo provoque malaises sur malaises comme pour tancer le lecteur et l’obliger à réfléchir mais non à prendre parti.

L’atmosphère de cet ovni est sombre, assez déprimant mais il est parfois illuminé par des images poétiques qui rappelle le poète Tomas Tranströmer. Wassmo a cette capacité de transcender un chapitre juste par deux petits mots ou encore par une ellipse tellement saisissante qu’elle nous arrête dans notre lecture le temps de la savourer. Son style, froid, vif et tranchant a malgré tout été malmené par la traduction. Des incohérences se glissent ici et là, où on ne peut que constater qu’on ne peut pas faire rentrer un carré dans un rond, autrement dit il est regrettable d’avoir calquer parfois la syntaxe norvégienne sur le français. Cela rend bancal et lourd certains passages qui auraient gagné justement à être allégé.

Enfin, cette distanciation volontaire entre roman et lecteur devrait être une raison suffisante pour lire ce récit à la fois intense, pudique, passionné et dépouillé. Écrire sur le banal afin de le rendre héroïque est toujours autant un tour de force. Il est, ici, admirablement maîtrisé par l’écrivain norvégienne.

Merci à PriceMinister pour ce livre.

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