Il y a des livres qu’on dévore, dont on s’enivre jusqu’à la nausée. ll y a des plumes qui élèvent la vulgarité au rang du sublime. Et il y a des auteurs comme Jean Teulé qui d’une griffe délirante s’impose.
Dans ce récit, le lecteur suit les pérégrinations du plus grand poète de la langue française dont nous ne savons presque rien: François Villon. Poète qu’on pourrait dire maudit avant l’heure, il est l’Orphée des bas-fonds parisiens, le prophète qui annonce la pensée de Pascal, Baudelaire, Rimbaud et bien d’autres. Sa poésie fondée sur l’exploration de la misère humaine résonnait violemment à une époque où Jeanne brûlée, la guerre de 100 ans se terminant, on voulait oublier la cruauté du siècle en se plongeant dans les délices d’une poésie maniérée où folâtrait bergère et chevalier. Et puis le trublion de la sorbonne a frappé.
L’épitaphe Villon
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Poète, assassin, libertin, violeur, meurtrier,voleur, sorbonnard, fils adoptif d’un chanoine, François Villon ne cesse de fasciner par le mystère insoluble qui entoure sa vie. On ne sait pas qui est son père mais sa mère était une campagnarde de basse naissance. On ne sait pas qui l’a aidé à sortir de prison et à échapper à la potence maintes et maintes fois mais il l’a fait. On ne sait pas ce qui s’est passé en 1463 lorsqu’il franchit les portes de Paris, exilé, pour disparaitre à jamais dans la nature.
Ce personnage haut en couleur ne pouvait que plaire à Jean Teulé! En effet, il est un client idéal pour sa plume ordurière, violente et débridée. Par la cruauté de son propos, l’écrivain nous montre une époque sombre où la barbarie s’étale à chaque coin de rue. Avec sa caricature coutumière, il nous entraine dans un Moyen-Age sale, puant et mêlant la mort et la vie dans une farandole macabre où la Mort a revêtu une couronne de fleurs. Ce thème baroque poussé à l’extrême est parfois insoutenable tant les scènes décrites sont d’une violence telle qu’elles sont souvent difficiles à lire. Mais l’alchimie opère et François Villon prend vie, crache sa révolte à la face du monde, se rit de la mort et entraine le lecteur à sa suite.
Ce récit est une grande réussite mais à éviter si vous n’avez pas le cœur bien accroché. Dans tous les cas, il s’agit d’une très bonne introduction à ce poète à part dans la littérature française car en plus de nous conter sa vie, Teulé nous glisse ici et là les poèmes du maitre parisien.
Je suis François, dont il me poise
Né de Paris emprès Pontoise
Et de la corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise